Ma vie d'avant Sans aucun doute, Chisei est l'un des plus gros opportunistes que porte cette Terre. Son destin semble depuis bien longtemps n'être rien de plus qu'un jeu qu'il maîtrise à la perfection. Dans la vie, il n'a toujours compté que sur lui-même et sur sa chance insolente. Ouais, on peut bien dire qu'il a une sacré chance de cocu ce gonze-là. Et pourtant, tout n'a pas si bien commencé.
Ma mère, c'est la fête foraine. Cette place colorée avec ses clowns aux dents acérées. Et ses barbes à papa et ses pommes d'amour suantes de caramel. Mon père ? Le gérant du grand carrousel qui m'a retrouvé quand je n'étais qu'un bambin derrière le train fantôme. C'est un vieux qui a raté sa vie, un parent par intérim qui n'a jamais eu la moindre famille. Il m'a appris l'amour des belles choses, l'ouverture d'esprit, des tours de magie. Je n'ai jamais fréquenté les bancs de l'école comme les autres, mais je n'ai jamais voulu me mêler à la mélasse difforme du troupeau.
J'étais jeune quand la vie l'a abandonné. Il n'y a rien de sain dans une vie de pauvreté et de glucose. A ce qu'il paraît, son pauvre foie ne ressemblait plus qu'à un amas de vieux chewing-gum noirci au goudron. A partir de ce moment-là, deux choix s'offraient à moi : reprendre la gestion du vieux carrousel en étant au service de gamins pourri gâtés aux doigts collants ou tracer ma propre route. Et ainsi fut ma décision, je souhaitais voir de nouveaux horizons. Bien que nous voyagions, je n'avais jamais vu rien d'autre que le monde de la fête. Je souhaitais autre chose que cette vie modeste et bruyante. Je suis parti dans la grande ville, je n'étais qu'un jeune adolescent à ce moment-là et j'ai vite constaté que j'avais manqué des choses gigantesques mais aussi que, partir à l'aventure, ce n'est pas aussi simple que ce qu'il y a écrit sur les papiers. Je n'avais aucun papier, aucun argent et je devais me cacher pour ne pas me faire attraper. Je ne savais pas du tout ce qu'il serait advenu de ma personne si un policier m'avait attrapé. Quand j'y repense, je n'aurais certainement pas fini en taule, mais je ne sais pas plus ce qu'ils auraient fait de moi. Pour vivre, j'ai mis en pratique les tours que mon père m'avait appris. Au début j'en faisais simplement profiter les gens en échange de quelques pièces puis j'ai compris que je pouvais faire mieux. Les escroquer et les voler sans même qu'ils ne s'aperçoivent du pot aux roses. Cette vie ne me convenait pas. Ce n'était pas ce que je souhaitais mais il paraît que lorsqu'on veut une fortune il faut la construire. Malheureusement, ça n'allait pas très vite et je commençais à être fatigué par le manque de nourriture et par le froid qui s'installait la nuit. Par chance, un jour que je démontrais sagement mes talents pour la prestidigitation, un homme grand et mystérieux vint à moi. Il s'est présenté avec une assurance que j'ai peu revu depuis tout ce temps, il était Yakuza. Très franchement, je n'ai pas de suite compris le principe, j'ai même pensé un instant que ça devait être un nom de famille qu'il se donnait. Peut-être un surnom. Yakuza, jamais entendu parler. Et il m'a convaincu de le suivre.
Ainsi commença la vie de cet être fourbe, de cet illusionniste fichu de tromper les yeux de n'importe quel œil humain non entraîné. Les années, l'entraînement l'ont perfectionné. Son esprit sournois s'est également développé en même temps que son goût prononcé par l'argent. Il était encore mineur quand il a commencé à travaillé pour ces hommes malhonnêtes qui lui ont sauvé la peau du cul mais il ne s'en sentait pas exploiter pour autant. Il faisait toujours casquer le plus qu'il pouvait tout en s'accordant un petit bonus de derrière les fagots sans le moindre scrupule. Son premier métier fut dealer de drogues, après tout, quel flic se douterait de quoi que ce soit de la part d'un gamin qui dépasse fraîchement la treizaine ? C'était le plan parfait, l'idée du siècle. Du moins, en partant du principe que le môme était un minimum fidèle et reconnaissant. Ce ne fut pas le cas. Après quelques années de bons et presque loyaux services, à sa majorité, en ayant obtenu des papiers quelque peu trafiqués et après s'en être mis plein les poches, Chisei vendit quelques informations à propos du clan et profita de l'agitation que ça causa pour s'en défiler et changer de quartier.
A l'aise avec mes économies, j'ai décidé de faire cavalier seul pendant un laps de temps parce que je pouvais vivre correctement avec ce que j'avais réussi à me faire dans le dos du clan. C'est vrai, ce n'est pas vraiment une marque de reconnaissance ce que je leur ai fait mais... Vraiment, votre maman ne vous a donc pas appris à vous débrouiller seuls et à ne pas compter sur les autres ? J'avais ce rêve de richesse à réaliser et j'allais le faire. Avec les autres sans leur consentement et sans me fatiguer. J'ai réalisé à quel point la vie peut être facile lorsqu'on se donne la peine. Je ne vois pas pourquoi je me serais embêté à gagner de l'argent en travaillant quand je peux prendre celui que les autres se crèvent le cul à gagner. Je ne culpabilise pas. Puis je ne vole pas les pauvres. Ce n'est pas par état d'âme mais plutôt parce qu'ils ne sont pas assez riches pour moi, tout simplement.
Cela dit, même si j'avais de quoi vivre de façon correcte, je ne me sentais pas assez... Friqué. Voilà, j'avais besoin de plus. Certaines choses que je souhaitais m'étaient encore inaccessibles et surtout, je m'ennuyais terriblement. Dans le quartier où je me suis installé il y avait un clan Yakuza et je me suis laissé tenter. Bien sûr ça a été tout un investissement en pots de vins pour me faire accepter mais je savais parfaitement que l'argent que j'avais dépensé, j'allais bien vite le récupérer. Cela dit, il était hors de question que je sorte me peler le cul dehors pour refiler de la drogue à des pétés de la tête. Mais le chef m'a bien expliqué que ce n'était pas du tout le projet qu'il avait pour moi, j'étais bien trop mignon pour ça. J'allais travailler avec les putes. Ça m'a juste... Choqué. Travailler avec les prostituées ? Quelle horreur ! Mais il ne m'a pas vraiment laissé le choix. C'était ça ou la porte. J'ai choisi ça à condition que je n'ai pas à coucher pour être payé. J'ai été travesti, totalement relooké en poule de luxe et franchement ça ne m'a pas déplu. D'ailleurs j'imagine que vous vous en doutez étant donné que je n'ai pas délaissé ce style vestimentaire depuis. Alors à partir de là, j'ai été escort. Je passais du temps avec des hommes, je dînais avec eux et parfois de partageais leur lit (toujours sans coucher) pour de l'argent. Et en même temps je leur piquais du pognon, ni vu ni connu. Après quelques petits mois on m'a sorti des péripatéticiennes pour me mettre dans un bar à hôtesses. J'étais chargé de passer du temps avec les hommes et leur faire les poches. Le chef était fou de mon talent. Si fou qu'il me confia des missions plus sérieuses pour récupérer encore plus de pèze. C'est dans ces eaux-là qu'on m'a présenté Korosu Sakki. Une sorte de... Barbare, voilà. Mais on a fait la paire tant bien que mal. Ça a été difficile de travailler avec lui, on est pas du tout faits pour s'entendre il faut bien le dire. Et pourtant, et pourtant ! On avait une idée commune en tête. Il a fallu un peu de préparation pour mettre notre projet en marche mais ça avançait, c'était bien. Malheureusement, j'ai été pris dans un piège à un moment donné, des types qui voulaient des informations sur le clan pour lequel je bossais et qui se sont mis à me passer à tabac. C'est d'ailleurs ce soir-là que j'ai perdu l'usage de mon œil droit. Mais par chance (parce que je finis toujours par avoir de la chance), Korosu m'a sauvé les fesses. Parce qu'il faut croire que j'ai toujours besoin d'un sauveur dans ma vie. Il m'a fallu un peu de temps pour me remettre mais au bout d'une année on les a détroussés sans vergogne et avant qu'ils nous épinglent, on a disparu tous les deux. | A Shinkyo Peu après que nous nous soyons retirés, un nouveau plan m'est venu en tête. Il y avait Sakki dedans mais il n'en serait pas un acteur, simplement la victime. A vrai dire, je n'avais pas confiance en lui et je le voyais déjà me foutre dehors sans me filer ma part du gâteau que nous avions habilement volé aux autres. Du coup j'ai eu vite fait de profiter d'un court instant d'inattention pour prendre le fric et me barrer.
... Mais non. Enfin, ne le prenez pas pour une blague, c'en est pas une. J'ai essayé mais j'ai raté. Et là j'ai pris la leçon de ma vie. Ne croyez pas qu'il s'est contenté de me faire la morale, ça aurait été bien trop beau. Il m'a menacé et puis comme j'avais voulu le baiser, il m'a baisé. Dans les deux sens du terme. Et ça n'a pas été une partie de plaisir, enfin, pour moi en tout cas. Franchement, j'ai entendu parler de premières fois plus sympathiques, même dans ce sens là. Je ne pensais pas que ce genre de chose m'arriverait un jour. Je me suis toujours dit que ça n'arriverait qu'aux autres maintenant, si j'arrive encore à ne pas avoir trop peur de lui, je le crains. Il m'a montré sa supériorité physique et je ne peux rien contre ça. J'ai bien réfléchi à l'idée de recommencer mais j'ai abandonné. Je me doute qu'il ne me buterait pas mais je pense bien qu'il pourrait recommencer la même chose que la dernière fois et même probablement pire donc... J'ai plié, il ne m'a pas laissé le choix, je ne pourrais jamais me débarrasser de lui. Ça m'a pris du temps pour m'en rendre compte mais au final c'est mieux que je reste avec lui de toute façon. Tout seul je ne m'en sortirais pas. J'ai beau être rusé et habile, je n'ai pas la force physique pour faire face si jamais on m'agresse et lui il me protège. C'est vachement arrangeant et puis au fond, je lui dois bien ça pour m'avoir sauvé la vie. Je peux bien partager ce qu'on a gagné, ce que je gagne encore aujourd'hui, mais ça ne sera qu'avec lui par contre. Il n'y a qu'à lui que je dois des choses. Les autres n'ont qu'à raquer ou crever.
Là, y'a quelques mois déjà on a acheté un bar, un truc tout pourri dont on s'occupe ensemble. Enfin, moi je le trouve tout pourri, mais c'est Sakki qui l'a choisi parce que ça fait discret, tranquille quoi. Mais la discrétion c'est pas du tout mon élément et je ne m'y fait pas, je reste tel que je suis et tant pis si ça fait tâche ou qu'on me remarque. Je sors peu de l'appartement et du bar... Puis si y'a un ennui et bien, l'autre est là pour me protéger non ? Sinon il sert à rien ! Tiens, en parlant de me protéger. J'ai entendu parler de choses étranges qui se passent dans Shinkyo. C'est une sorte de possession, quelque chose comme ça, c'est bizarre quand même. J'aimerais bien ne pas y croire mais au fond, je crois que je suis bien content de ne pas être seul, même si mon cher camarade est sûrement bien aussi flippant qu'un fantôme.
Bref. C'est donc accompagné par un type aussi joyeux qu'un croque-mort et dans un bar miteux, dans un quartier aux rumeurs bizarres que j'ai débuté une vie nouvelle. Je semble éloigné des magouilles, n'est-ce pas ? Mais il va falloir être moins naïf, parce que j'ai le vol et l'entourloupe dans l'âme. |